Il y a dix ans, Sur le seuil...

Note : La version originale de cet article a été publié sur le site 'L'araignée infâme' en 2000. Même si la version présentée ici a subi quelques modifications, les impressions décrites ici datent d'une époque où Sénécal était peu connu, de là certains commentaires qui peuvent sembler étranges dix ans plus tard. Ensemble, voyageons dans le temps...

La comparaison était inévitable. Lorsqu'un obscur écrivain d'horreur, encore à ses premiers romans, publie quelque chose d'important, la critique le compare à Stephen King. La comparaison a été énoncée dans le cas du troisième roman de Patrick Sénécal. Les fondements de cette comparaison sont peu solides, car le seul élément de Sur le Seuil pouvant faire référence à King est Thomas Roy, l'écrivain retrouvé les doigts tranchés et dans un état catatonique. Thomas Roy incarne l'archétype du prosateur d'atrocités populaires auquel on peut aussi associer le conteur américain. La source de l'inspiration de Thomas Roy est à la base du récit.

Dès le moment où j'ai entamé la lecture de Sur le seuil, plusieurs impressions se sont bousculées dans mon esprit avant que je n'arrive à une conclusion concernant ce roman. Son titre laisse présager un récit lovecraftien. Ce qui se révèle faux dans les faits, mais vrai dans l'esprit. Commençant la lecture, j'eus quelques impressions résurgentes du film L'antre de la folie ; le roman de Patrick Sénécal et le film de John Carpenter traitent tous deux le thème de l'écrivain dément ainsi que celui de l'église satanique. Seulement quelques pages ont été nécessaires pour que ces comparaisons quittent mon esprit et que mon âme ne pénètre dans l'étrange univers de ce psychiatre désabusé s'immergeant corps et âme dans une affaire dont le macabre et la bizarrerie vont augmenter jusqu'au paroxysme final qui est d'une atrocité hors du commun.

Pourquoi Sur le seuil est-il si efficace, si terrifiant ?

Ce qui fait la force de ce roman est non seulement l'ambiance de désabusement qui se dégage des commentaires du docteur Lacasse, le psychologue qui sert de narrateur, mais l'anticipation des événements qui suivront. Même s'il est impossible de prévoir le dénouement du livre dès les premières pages, le roman est prévisible à court terme. J'entends par là que, connaissant la psychologie des personnages et les éléments précédents de l'intrigue, on peut deviner le prochain événement majeur. Cependant, il ne s'agit pas d'un problème. J'irais même jusqu'à dire que c'est en partie cela qui fait la force du roman. Que le lecteur puisse partiellement prévoir ce qui se produira ne fait qu'augmenter la tension car, en plus d'être un roman d'horreur, Sur le seuil est aussi un roman policier. L'enquête menée par le psychiatre à propos de Thomas Roy, l'écrivain énigmatique, laisse le lecteur spéculer sur ce qui se produira et l'horreur découle du fait même que ces spéculations prennent vie. L'histoire, habilement menée, laisse le lecteur imaginer le pire. Comme si les fantasmes morbides du lecteur se reproduisaient dans le livre par le biais d'une force surnaturelle démoniaque...

Chère aux écrivains d'horreur, l'image de la porte est la base du récit et, à plusieurs reprises, Patrick Sénécal la développe explicitement. Le docteur Lacasse s'imagine debout devant une porte entrebâillée. Sur le seuil, il observe la porte s'ouvrant petit à petit. Derrière cette porte se trouve l'indicible. Alors qu'elle s'ouvre, le lecteur et le protagoniste se voient offrir de nouveaux éléments concernant l'horreur qu'elle cache. Alors que les détails se dévoilent, le lecteur imagine que ce que la porte cache est encore plus horrible que ce qu'il avait imaginé précédemment. Le dénouement pourrait décevoir le lecteur, mais ce n'est pas le cas ; la conclusion est encore plus horrible que ce que le lecteur imaginait.

Contrairement au personnage principal, le lecteur est enclin à attribuer les étranges événements au surnaturel, tandis que Paul Lacasse fait preuve d'un rationalisme déroutant. Presque jusqu'à la fin, il ne jure que par la raison et bannit toute explication irrationnelle. Le psychiatre est un être des années quatre-vingt-dix. Désabusé, rationnel, un peu ironique; il est le reflet de l'homme de notre temps. C'est un peu pour cette raison que ses raisonnements touchent le lecteur si facilement ; il lui est facile de s'associer au personnage principal. Alors que l'enquête avance, le docteur Lacasse est de moins en moins certain que l'explication du "Cas Roy" est rationnelle. Il renie l'explication irrationnelle jusqu'au moment où la porte s'ouvre devant lui et qu'il aperçoit l'indicible.

Patrick Sénécal fait ses preuves avec ce fantastique roman. Le Québec peut maintenant se vanter d'héberger un dispensateur de proses macabres de potentiel international.

Mais, sachant que Sur le seuil est si terrifiant, pourquoi lirais-je cette œuvre macabre ?

Marchant entre les cadavres mutilés, je m'avance vers vous. Un livre format poche à la main, je m'avance et je vous demande d'avancer. Vous pénétrez d'un pas hésitant et, regardant par terre afin de ne pas glisser dans une flaque de sang, vous vous approchez de moi. J'élève le livre au-dessus de ma tête et prononce quelques mots inaudibles. Puis, esquissant un sourire cruel, je vous le tends. Acceptant le volume d'une main vacillante, vous me regardez dans les yeux. Vous vous demandez qui je suis. Vous vous demandez ce que je suis. Vous me regardez, transi par la terreur. Vous ouvrez le livre et sombrez dans la démence.

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